C’était un plaisir de découvrir la brillante Margaret Wright (Courant Institute), esprit malicieux et parfois caustique derrière ses allures d’adorable grand-mère inoffensive. La lauréate de cette conférence von Neumann (la plus prestigieuse des distinctions décernées par la SIAM), spécialiste d’optimisation, d’algèbre linéaire et de calcul scientifique, a commencé son exposé en précisant « there will be no Big data, no machine learning… » sous les applaudissements du public. Il s’agissait en effet ce soir du 15 juillet de nous présenter un problème assez standard de « matching » (ou de « mariage »), qui s’est réellement posé à elle alors qu’elle répondait à la demande de la société new-yorkaise de ramassage de déchets DSNY, qui cherchait alors à loger de manière optimale ses (très nombreux) employés en attribuant à chacun un appartement qui répondrait aux mieux aux préférences qu’il avait exprimées. Au delà des aspects purement scientifiques (formuler un problème de la vie réelle en langage mathématique en tenant compte de ses contraintes particulières – autrement dit le modéliser -, concevoir un algorithme permettant de répondre à la demande, prouver qu’il s’agit bien de la meilleure manière d’y répondre…) l’exposé de Margaret Wright était l’occasion d’évoquer les spécificités de la recherche appliquée à des problèmes concrets de la vie réelle et les difficultés que peut rencontrer un scientifique dans sa collaboration avec une entreprise dont il essaye de résoudre le problème, notamment :
– qu’il faut parvenir à se comprendre alors qu’on ne parle pas le même langage,
– qu’il arrive que la solution proposée ne convienne pas, même si elle semble répondre formellement au problème, pour des raisons – pouvant par exemple relever de la sociologie ou de la psychologie humaine, mais pas seulement – que l’on n’avait pas prises en compte, la réalité étant toujours beaucoup plus complexe que le modèle.
Margaret Wright a terminé son exposé par un hommage plein d’admiration au génial père de l’informatique John von Neumann, en évoquant le premier programme informatique écrit vers 1944-1945 par von Neumann, un algorithme de tri (« probably not the topic you expect » a-t-elle précisé, toujours facétieuse, faisant sans doute allusion au rôle de von Neumann dans le développement de la bombe atomique) destiné à tester l’EDVAC, l’un des tous premiers ordinateurs électroniques. On pouvait voir un fac similé du manuscrit de von Neumann qui, insista Margaret Wright, a non seulement écrit son propre code mais a créé l’algorithme aujourd’hui appelé « tri fusion » (« merge sort »), basé sur la technique « diviser pour régner » (« divide and conquer ») .
Hommage aussi à l’auteur de la « bible » de l’algorithmique Donald Knuth, puisque c’est un papier « fascinant » de Knuth daté de 1970 qui présentait pour la première fois ce travail de von Neumann en le commentant ligne à ligne (nous découvrîmes ainsi que « tour de force » se dit en anglais « tour de force » mais avec l’accent).
Retrouvez ici la présentation PDF de l’exposé de Margaret Wright.